11.6.05

Autoportrait en vert



Dimanche dernier, 24 amateurs de littérature se réunissaient pour décerner le 31e Livre Inter. Ce prix, réputé pour son impartialité puisque décerné chaque année par des auditeurs différents de France Inter, a déjà fait découvrir des auteurs comme, chronologiquement, Elie Wiesel (Le Testament d'un poète juif assassiné, 1980), Marek Halter (La Mémoire d'Abraham, 1984), Daniel Pennac (La Petite Marchande de prose, 1990), Nina Bouraoui (La Voyeuse interdite, 1991), Agota Kristof (Le Troisième Mensonge, 1992), Agnès Desarthe (Un secret sans importance, 1996), Nancy Huston (Instruments des ténèbres, 1997), ou Martin Winckler (La Maladie de Sachs, 1998, sur lequel je reviendrai un jour).

Le palmarès fut rendu public lundi dernier et le lauréat en est Joël Egloff pour L'Étourdissement, aux éditions Buchet/Chastel. Je ne connais pas ce titre, contrairement à un autre livre qui faisait partie des dix de la sélection officielle du prix cette année : Autoportrait en vert de Marie NDiaye, un des auteurs de langue française les plus importants de notre époque (rappelons, parmi sa douzaine d'ouvrages, sa pièce de théâtre Hilda, 1999, chef d'œuvre sur le thème de la manipulation gens ordinaires par les classes supérieures). Après la Normandie, Rome ou Berlin, elle vit désormais près de la Garonne, à la campagne et vient de passer pour l'occasion des Editions de Minuit au Mercure de France où Autoportrait en vert est paru à la fin du mois de décembre dernier.

Ce livre est un vrai ouvrage de littérature, la langue en est travaillée et l'histoire ne compte pas plus que sa mise en forme. Cet ouvrage énigmatique, autoportrait dont on peut se demander s'il est toujours autobiographique, met en valeur le vert, sous une couverture rose, pour mieux en rendre méfiant le lecteur. Tous les personnages intrigants du récit ont quelque chose de vert, dont l'auteur nous dit (p. 15-16) : "Le vert ne saurait être, néanmoins, la seule couleur de la méchanceté, pas plus que le vert ne saurait être fatalement la couleur de la méchanceté, mais qui peut nier que la méchanceté aime particulièrement s'orner de toute sorte de vert ?".
La narratrice commence par croiser ne voiture une femme en vert, qui lui en rappelle une autre, connue à la maternelle, dont les yeux étaient verts, puis Christina ou son fantôme porte un short "élastique et moulant, imprimé de fleurs vertes sur fond vert", etc.

Ce livre est donc rédigé comme un livre de souvenirs, mais oniriques, dont on ne ait jamais s'ils ont jamais été réels. Tout est en trompe-l'œil, rien n'est sûr, sauf, justement, le VERT. Si bien que les relations humaines ici relatées sont à multiples niveaux : tout est courbe, ou plutôt flou, brumeux. Les sentiments sont à la même aune, fugaces, mobiles, changeants, souvent désespérés ou tristes. Mais tout reste mouvant comme la vie ; ou plutôt le rêve de la vie ; ou encore le rêve du rêve de la vie, etc.

Ce livre informel, conformément à son propos, très poétique sans être de poésie, est illustré par des photographies anciennes très étonnantes car à aucun moment on ne voit le rapport avec ce que l'on vient de lire. L'ouvrage laisse au lecteur de beaux souvenir vaporeux.

Autoportrait en vert, coll. "Traits et portraits", Mercure de France, 2005. 13 €