30.10.05

Une critique sévère mais sans doute juste


Pour rester dans Mozart (voir post précédent), de nombreux ouvrages vont paraître dans l'année qui vient. Parmi ceux-ci, un livre vient déjà de sortir, écrit par Eric-Emmanuel Schmitt, personnage incontournable de la scène théâtrale française.
Schmitt n’est pas un mauvais auteur en soi mais il produit beaucoup. De là à dire trop, il n’y a qu’un pas que je franchis et je ne suis pas le seul à le faire. Il y a de belles réussites (Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran, qui a donné lieu à un joli film avec Omar Sharif) et des œuvres pénibles à suivre (voir le verbeux Le Libertin sur le personnage de Diderot, d’un ennui mémorable au théâtre et ayant donné lieu à un naufrage filmique - je nuance : les critiques ont été très partagées).

Bien entendu Eric-Emmanuel Schmitt peut se prévaloir d'un CV impressionnant et d’une double casquette puisqu’à des études correctes de musique (Conservatoire de Lyon) il peut ajouter un cursus intellectuel plutôt complet : Ecole Normale Supérieure - Ulm - de 1980 à 1985 (agrégé de philosophie en 1983) et docteur de Troisième Cycle en 1986 avec une thèse sur Diderot et la Métaphysique qu’il a fait paraître en 1997 sous le titre Diderot ou la philosophie de la séduction (Albin Michel). Il est depuis pas mal d’années un des auteurs les plus joués du théâtre français dans le monde, possède son propre site internet (http://www.eric-emmanuel-schmitt.com). Personnellement, j’ai souvent trouvé que ses phrases péremptoires sonnaient un peu faux.

Aujourd’hui, il fait donc paraître un livre sur Mozart. Je ne l’ai pas encore lu mais, ayant pris connaissance avec attention de la critique du Figaro écrite par Philippe Cassard (Figaro littéraire, 27 octobre 2005, p. 4) et y ayant retrouvé les griefs que je porte en général à Schmitt, je ne suis pas sûr de l’acheter. Je vous en laisse juge...

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Un squatteur chez Amadeus
Ma vie avec Mozart d’Eric-Emmanuel Schmitt

Le « jeune et brillant dramaturge » (ce sont ses propres mots) imagine une correspondance fictive entre lui et Mozart.

BIEN AVANT les cérémonies qui en 2006 salueront le 250e anniversaire de la naissance de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), le monde de la musique est en effervescence : intégrales, biographies, concerts, émissions de radio et de télévision se succéderont en un mélange où le meilleur côtoiera le pire. Celui-ci nous est infligé trois mois en avance par le livre d’Eric-Emmanuel Schmitt, dont le titre, Ma vie avec Mozart, ainsi qu’une couverture pompeuse révèlent dès l’abord un contentement de soi et une prétention, qui s’étalent ensuite sur cent soixante pages : « Apprends que j’ai rejoint ton camp, le camp des créateurs », « Je quitte l’université où j’enseigne la philosophie pour assumer le nouveau rôle qu’on m’a assigné, celui d’un jeune et brillant dramaturge » », « Sais-tu que je suis devenu ton librettiste ? Je mets des paroles françaises sur ton opéra, Les Noces de Figaro. Oui, (je vais) rendre Mozart encore plus populaire ! », « Comme toi, en tant qu’auteur, je ne me suis montré capable d’écrire des histoires dont les héros sont des enfants qu’une fois passé mes trente-cinq ans. »

Peut-on nous expliquer quelle mouche pique certains de nos hommes de plume français lorsqu’ils décident de confier à la multitude leurs pensées approximatives sur des compositeurs, tel Mozart, car en parler nécessiterait un minimum de préparation ? M. Schmitt égrène les banalités sur un ton de prêche à l’usage des demeurés : « Tu es la preuve qu’on peut survivre à une enfance prodige », « Tu donnes des cours de bonheur en rendant leurs saveurs aux choses, en extrayant du moindre moment un goût de fraise ou de mandarine », « L’expérience de la musique a partie liée avec l’expérience mystique », « Tu composes pour les voix comme personne », « L’esprit d’enfance vient avec les années », « Ta stylisation, c’est une sublimation », « L’enfance est une métaphysique », etc.

Bavardage sentencieux
A travers cette correspondance fictive qu’il entretient avec Mozart, « (il) s’exprime en sons, je compose des textes », M. Schmitt se sert en outre de son héros pour régler ses comptes avec les critiques qui « comme tous les gens cultivés (ont) une culture de retard », l’Etat qui dilapide l’argent public en subventionnant des « artistes qui n’ont pas de talent mais couchent dans les couloirs des ministères », et ces « intellectuels » qui n’aimeraient, à l’en croire, que la musique contemporaine. Le soi-disant grand public qui obsède tant M. Schmitt est-il si inculte qu’il doive se contenter de ce bavardage sentencieux ?

Une charge contre les « baroqueux » d’une violence et d’une bêtise remarquables en dit long sur le degré d’ignorance dont M. Schmitt fait preuve : « Ils vont chercher des trompettes usagées, des cordes pourries, des pianoforte antédiluviens qui semblent jouer du fond d’une piscine. Certains vont même jusqu’à s’habiller en costume du XVIIIe siècle, se poudrer, se coiffer d’une perruque, et j’en soupçonne quelques-uns, par fidélité aux usages de ton temps, d’aller uriner derrière les rideaux du salon ». Plus de quarante ans ont passé depuis qu’un vent frais, tonique, stimulant l’intelligence et la remise en question de traditions poussiéreuses, a soufflé sur l’ensemble des familles de musiciens. Grâce à ces infatigables défricheurs mondialement estimés que sont, entre cent autres, William Christie, Nikolaus Harnoncourt, Marcel Pérès, Denis Raisin Dadre, Alfred Deller, c’est une identité et une couleur spécifique qui ont été redonnées à la musique du Moyen Age et de la Renaissance, à la période baroque, au style classique, tellement encrassés par des décennies de pathos romantique !

Il nous faudra donc chercher du côté d’André Gide (Notes sur Chopin) ou de Romain Rolland (Beethoven) : eux avaient tant à dire sur la musique, et avec quelle originalité, sans que jamais leur pensée ne s’égare dans le jargon entre gens du sérail, ou, à l’inverse, dans la simplification. N’est-ce pas d’ailleurs M. Schmitt qui affirme, page 121, qu’il « faut un surcroît de travail et de modestie lorsqu’on veut parvenir à un art clair, évident » ? Afin qu’il ne soit plus la risée des musiciens et de nombreux mélomanes, on l’encouragera fortement à reprendre cette maxime pour lui-même.