20.5.06

Divisions sur l'Eurovision


Impossible de passer sous silence le nouveau concours de l'Eurovision. Mais, contrairement à l'année dernière où je vous faisais un rapport circonstancié de l'épreuve, je vais vous parler aujourd'hui des coulisses et surtout un événement qui ébranle un pays tout entier. Quand je vous disais (l'année dernière) que l'Eurovision avait des enjeux géopolitiques ! Voici un article du Figaro d'hier :

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L'Islande se déchire pour l'Eurovision

Il s'en passe de drôles au beau milieu de l'Atlantique-Nord. L'Islande, un pays pourtant plus réputé pour la placidité de ses habitants que pour la rudesse de ses débats de société, est sens dessus dessous. Sa candidate au concours de l'Eurovision, demain soir à Athènes, n'en finit plus de déchaîner les passions. Elle a même mis une telle pagaille dans cette petite communauté que le pays est littéralement coupé en deux. On ne badine pas avec une compétition que beaucoup, sur cette île volcanique, considèrent comme le prix Nobel de la musique.

Cette créature qui sème la zizanie, c'est Silvia Nott, mais elle préfère qu'on l'appelle Silvia Night – la traduction anglaise –, «parce que les gens célèbres ne parlent pas islandais». Elle a 22 ans, elle est plutôt jolie et sa voix n'est pas désagréable. Le problème, c'est qu'elle parle aussi comme un charretier, qu'elle est pétrie de mauvaises manières et qu'elle affiche un mépris souverain pour tout ce qui n'est pas riche, beau et célèbre. «Les gens ordinaires – les B People – m'ennuient. Ils sont simplement sans intérêt», explique-t-elle, d'un ton moqueur. Un parangon d'égoïsme qui estime pouvoir tout se permettre parce que son père, un des hommes les plus riches du pays, est à la tête de la télévision et de la compagnie nationale des télécoms.

L'Islande a découvert Silvia Night, ses robes ébouriffantes et son maquillage outrancier, il y a moins d'un an. Elle présentait alors une émission de télévision sur la chaîne privée Skjar 1. Le show, intitulé A plus, avec Silvia Nott, se moquait des Islandais et de leurs petits travers comme se prendre trop au sérieux ou bien savoir à qui appartient la plus grosse voiture. Le concept, complètement nouveau dans ce pays de 300 000 habitants, a immédiatement enflammé le public et les professionnels qui ont élu Silvia personnalité télévisuelle de l'année 2005. Mais, tout de suite aussi, il y a eu les pour et les contre. D'un côté, ceux qui voyaient dans son attitude une dénonciation de la société moderne, matérialiste, narcissique et égoïste. De l'autre, ceux qui percevaient vulgarité, outrance et provocation comme autant d'insultes à la tradition d'humilité que tout Islandais se doit d'afficher. Une véritable fracture dans ce pays nordique habitué à la paix sociale !

Et pourtant, Silvia Night... n'existe pas. Cette «superstar internationale», dont chaque apparition publique est soigneusement orchestrée – elle ne se déplace qu'en compagnie de gardes du corps et d'un entourage digne de la cour du Roi-Soleil – est en réalité un personnage de fiction. Rien n'est vrai dans sa légende, car cette vedette détestable et méprisable est une invention, une performance artistique orchestrée par une jeune actrice de 23 ans du nom d'Agusta Eva Erlensdottir. Avec son ami Gaukur Ulfarsson, un réalisateur de télévision de 32 ans, ils ont créé le personnage de Silvia il y a un peu plus d'un an. «Nous l'avons voulu la plus horrible possible. Un personnage qui souligne les pires travers de notre époque, explique Gaukur au quartier général de Master of the Universe, la société qui gère aujourd'hui le destin de la star de pacotille, en plein coeur de Reykjavik. C'est la démarche artistique la plus difficile qui soit, car nous marchons sur une ligne très mince. Mais la satire a un sens. Personnellement, je suis croyant et je pense que dans la vie, il y a des choses plus importantes que d'avoir une belle voiture ou une grosse télévision.»

Rencontre de Paris Hilton, de Cindy Lauper et de Björk, le rôle a de quoi rendre schizophrène. Agusta est aussi adorable et charmante que Silvia est méchante et arrogante. Sa performance est d'autant plus forte que Silvia n'évoque jamais Agusta en public et inversement. Dans l'intimité de sa salle de répétition, un ancien cinéma transformé en music-hall à quelques pas du centre-ville, l'actrice livre toutefois quelques confidences : «Cela a parfois été difficile. Au début, les gens me jetaient toutes sortes d'objets à la figure en m'insultant. J'étais tout le temps prise à partie. J'ai fini par ne plus sortir que dans la peau de Silvia Night.» Dévoilée au public après quelques shows télévisés, la supercherie n'a pas suffi à apaiser les passions en Islande. D'autant que, dans la foulée, la petite équipe présente Silvia à la sélection nationale pour le concours de l'Eurovision. Ancienne chanteuse dans un groupe de rock de Reykjavik, Agusta s'en sort plutôt bien. Le 18 février dernier, devant les stars de la variété locale, elle est désignée pour représenter l'Islande à Athènes. Sa chanson est évidemment à l'image de Silvia. «Le vote est dans la poche/ Je vais gagner/ Tant pis pour les autres candidats/ Alors félicitations l'Islande». Ses détracteurs, eux, ne baissent pas les bras. «C'est une honte de l'envoyer à l'Eurovision. Elle va nous ridiculiser. Ici, les gens organisent des soirées spéciales pour regarder ensemble l'événement», peste Haukur Magnusson, un chef d'entreprise installé sur les hauteurs de Kopavogur, un quartier périphérique de Reykjavik.

Comme lui, ils sont nombreux sur les terrasses de la capitale, bondées sous le soleil boréal, à déplorer ce choix, accusé de ternir l'image du pays à l'étranger. Surtout, pour un événement de cette importance. «L'Eurovision est l'une des rares compétitions que les Islandais ont toujours pensé gagner un jour. Comme pour les concours de miss monde et de l'homme le plus fort du monde que nous avons déjà remporté. Cela a bien sûr fait de nous les gens les plus beaux et les plus forts de la terre», explique avec humour l'écrivain Gerdur Kristny, une fine observatrice de la société locale. Une chose est sûre, devenu aujourd'hui un sujet de société, le grand cirque médiatique de Silvia Night tourne désormais à plein régime. A quelques heures du départ pour Athènes, rue Austurstraeti, l'effervescence est à son comble. Pendant que Silvia procède aux derniers essayages de sa garde-robe pléthorique, la quinzaine de personnes de son entourage se délectent déjà de la polémique suscitée par la chanson islandaise. Le jury de l'Eurovision menace de disqualifier Silvia Night si le mot «F...» n'est pas retiré des paroles. Bien sûr, pas question de céder. Mais hier soir, le public a tranché et l'a éliminée au stade des demi-finales. Silvia ne chantera pas pour l'Islande demain soir.

Jean-Marc Philibert (envoyé spécial à Reykjavik !)

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N.B. Le site du Figaro a actualisé cette dernière phrase. La phrase d’origine était : « Après avoir passé le barrage des demi-finales, Silvia chantera demain soir pour l’Islande ».




Moi, cette chanteuse me fait plus penser à une Cindy Lauper sans talent.

Allez voir le superbe clip de Congratulations (hem, c’est assez n... spécial ; vous apprécierez la fameuse phrase juste avant le premier refrain "The vote is in I'll fucking win") : ici.

Sinon, allez voir le site officiel : http://www.silvianight.com. Sur la page d’accueil, notre chanteuse fait plus penser à une bunny girl de Playboy.

Source : Le Figaro, 19 mai 2006, p. 20