Le "naufragé volontaire" s'en est allé
Alain Bombard vient de nous quitter à l'âge de 80 ans (il était né le 27 octobre 1924). Il faisait partie de ces précurseurs de l'écologie, en compagnie de Paul-Emile Victor, de Jacques-Yves Cousteau ou d'Haroun Tazieff.
Il fut beaucoup critiqué, je crois plus par jalousie qu'autre chose. Sa renommée mondiale, son engagement politique (pas chez les Verts, justement, mais au PS, depuis 1974), tout cela agaçait bien du monde. Et l'homme était doué : médecin, biologiste, violoncelliste, écrivain, écologiste, il devint aventurier, secrétaire d'Etat, député européen. Il était surtout doué pour l'explication : je me souviens très bien de ses émissions à la télévision dans les années 1970. Elles étaient remarquables de pédagogie.
C'est en 1952 qu'il entre dans la légende : alors chercheur au musée océanographique de Monaco, il décide de prouver à la face du monde qu'il est possible à un naufragé de survivre sans autres ressources que celles de la mer, grâce à l'eau, aux poissons et surtout, découvrira-t-il au cours de son odyssée, au plancton, riche en vitamine C. Il traverse l'Atlantique seul, à la dérive sur un petit canot pneumatique (4,2 m sur 1,9) baptisé "L'Hérétique" ("Qui était en fait bien orthodoxe", dira-t-il cinquante ans plus tard), sans vivres ni eau douce.
Parti le 19 octobre 1952 de Las Palmas aux îles Canaries, ce n'est que le 24 décembre, au bout de 65 jours de solitude et après avoir parcouru 6.000 kilomètres, qu'il atteint La Barbade. Il est alors dans un état physique épouvantable : il perd ses ongles, cheveux...
Il avoue avoir connu la tentation de "s'assoupir à jamais". Mais il a gagné son pari et se sent "fier d'avoir jeté un pavé dans la mare pour que le sauvetage progresse" à une époque où "à peine un naufragé sur mille était sauvé". Son exploit, raconté ensuite dans son livre Naufragé volontaire, permet en effet de mettre le doigt sur des éléments négligés ou tabous :
— On s'occupait assez peu des naufragés à l'époque. On pensait qu'ils ne pouvaient pas survivre très longtemps. Comme pour le Titanic, il n'y avait pas toujours autant de place dans les canots que de passagers, etc. Bombard montre qu'un naufragé peut survivre beaucoup plus longtemps qu'on ne le pense. C'est suite à son expérience qu'est venue l'obligation pour tout bateau d'avoir un canot de sauvetage.
— Si le naufragé peut résister longtemps, c'est aussi parce qu'il conserve le moral. Bombard a aussi voulu mettre l'accent là-dessus : ancien médecin, il continuait à affirmer : "Le moral c'est tout finalement, c'est ce qui aide le malade à guérir". Il ajoutait que ce qui l'avait fait tenir, c'était "la foi en la vie et en l'obstination de l'homme" qui "font reculer le visage de la mort". Et sa foi en Jésus Christ.
— À l'époque, il était complètement tabou d'évoquer la consommation d'eau de mer par l'homme. Bombard, après cinq ans d'études à l'institut de Monaco, était persuadé du contraire, "à condition de ne pas attendre d'être déshydraté pour en boire". Là encore, il l'a prouvé.
Il n'eut pas toujours que des réussites. En octobre 1958, neuf marins se noyèrent à Etel (Morbihan) au cours de l'expérimentation d'un canot de sauvetage, sous sa houlette. Il y eut dans les années 1960 l'échec financier d'une association qui portait son nom, en 1985 la suppression de son poste à l'institut océanographique Ricard, incompatible, selon la fondation, avec ses fonctions électives. Il regrettait il y a quelque temps d' "avoir appartenu à des associations qui après le naufrage de l'Erika ont estimé qu'il n'y avait pas de danger"...
Las ! Avoir des idées, les considérer comme bonnes et susceptibles de faire avancer l'humanité, puis payer de sa personne pour les prouver, je pense que cela mérite un grand hommage.
3 Comments:
Je te remercie pour cet hommage a cet homme qui a fait avancé les expérimentations marines. En fait, je le connaissais de nom mais pas vraiment son action (hormi son naufrage volontaire)
Bon c'est donc comme ça que BOBY EWING a résister quand il était l'homme de l'Atlantide, non parce que je n'ai pas le souvenir de le voir manger, donc il a suivi les précieux conseils d'Alain BOMBARD ?
J'espère n'avoir froissé personne, je ne me moque pas, c'est juste un clin d'oeil humoristique !
Bonjour,
Je vous remercie pour ce bel hommage que vous avez rendu à cet homme hors de l'ordinaire. Je me rappellerai toujours lorsqu'il était venu à notre école (au Québec) pour faire une conférence dans les années 70. A la fin, il y avait une séance de signature. J'y suis allée et j'ai eu droit à un baiser sur la joue de sa part parce que je me prénommais comme son épouse : Ginette. J'ai aujourd'hui 46 ans et pourtant, ce souvenir est toujours vivant en moi.
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