14.7.05

Lisez Stevenson !



Robert-Louis Stevenson, écrivain écossais (1850-1886), est surtout connu pour sa fameuse Île au trésor ou son Étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, si célèbre qu'on en a tiré une expression. Ajoutons le Voyage avec un âne dans les Cévennes et nous avons le tour de la connaissance de l'honnête homme français.

Or, bien d'autres écrits sont intéressants, pour ne pas dire passionnants. Ils montrent la variété du talent de Stevenson et son acuité d'analyse.
Découvrons aujourd'hui : la Croisière à l'intérieur des terres (An Inland Voyage), parfois traduit en français par Voyage sur les canaux et les rivières. Cet ouvrage, considéré souvent comme le premier édité de Stevenson, qui avait alors 28 ans, narre un périple à bord de deux canots se laissant conduire du canal de Willebroek, près d'Anvers, jusqu'à Pontoise en France, sous un temps généralement maussade.

C'est l'occasion pour Stenvenson de faire le portrait des personnes rencontrées, souvent hautes en couleur, comme les aubergistes (souvent féminines), les maris au visage alcoolique, les gens qui prennent nos voyageurs pour des mendiants (car il est inenvisageable à l'époque de voyager "pour le plaisir"). Des lieux marquants sont souvent merveilleusement décrits, telle la Cathédrale de Noyon. Et maintes péripéties émaillent le parcours. Mais ce qui fait la grande originalité de ce récit à mon humble avis, ce sont toutes les digressions philosophiques que l'auteur se permet. Ce voyage n'est finalement qu'une grande occasion de réfléchir sur le monde. Pas une page sans que l'auteur ne fustige son pays d'origine face aux coutumes qu'il découvre. On trouve quelques portrait sévères des pêcheurs, de la nourriture en Belgique, une certaine méfiance envers les enfants en groupe, un éloge de la péniche, sorte de paradis terrestre, un portrait du tambour militaire (mais oui !), etc. Pour vous donner un aperçu de cette prose magnifique, je vous livre la réflexion de Stevenson sur la forêt :

« Et certes, de tous les parfums du monde, l'odeur d'arbres nombreux est bien la plus suave et la plus fortifiante. La mer a une âcre saveur, qui vous fusille, vous prend par les narines comme du tabac à priser, et qui porte avec elle la belle idée du grand large et des hauts navires ; mais la senteur d'une forêt, qui s'en approche le plus pour cette qualité tonique, la surpasse de beaucoup par la douceur. Encore une fois, l'odeur de la mer n'est guère variée, mais celle d'un bois est infiniment changeante ; elle se modifie selon l'heure du jour, non seulement en intensité, mais aussi dans sa nature. Les différentes sortes d'arbres, comme l'on passe d'une partie de la forêt à une autre, semblent vivre parmi les différents types d'atmosphère. D'ordinaire la résine du pin prédomine, mais certains bois sont plus coquets dans leurs manières, et le souffle de la forêt de Mormal, qui nous arrivait à bord de cet humide après-midi, était embaumé par rien moins que l'églantine.

Je regrette que notre route ne nous ait pas toujours fait passer par les bois. Les arbres forment la compagnie la plus civile. Un vieux chêne qui pousse sur place depuis avant la Réforme, plus haut que plus d'un clocher, plus noble que la plupart des montagnes, est pourtant choise vivante, capable de maladie et de mort, comme vous et moi : n'est-ce pas là en soi une leçon d'histoire fort parlante ? Mais des dizaines d'arpents pleins de ces patriarches enracinés côte à côte, agitant leur verte cime au vent, leurs vigoureux rejetons jaillissant entre leurs genoux : toute une forêt, saine et belle, colorant la lumière, parfumant l'air, n'est-ce pas la plus imposante pièce du répertoire de la nature ? Heine voulait reposer comme Merlin sous les chênes de Brocéliande. Je ne me contenterais pas d'un seul arbre, mais si le bois formait un tout à la façon des banians, je voudrais être enterré sous la racine-mère de l'ensemble. Mes membres circuleraient d'un chêne à l'autre, et ma conscience se diffuserait à travers toute la forêt, donnant un cœur commun à cette assemblée de flèches vertes, pour qu'elle puisse également se réjouir de sa beauté et de sa dignité. Je crois sentir mille écureuils sauter de branche en branche en mon vaste mausolée tandis que les oiseaux et les vents survolent joyeusement son inégale surface feuillue. »
Puis, plus loin : "Je fus si pétrifié par la méchanceté de cet individu que je ne pus que le dévisager en silence. Un arbre ne m'aurait pas parlé ainsi."

Quelle écriture ! Je crois que je ne serais pas capable d'écrire une seule phrase de ce texte.

Cet ouvrage, vous ne pourrez malheureusement le lire, si cela vous chante, que dans la collection "La Pléiade" chez Gallimard (1er volume des œuvres). Il n'existe pas d'autre édition disponible actuellement en français. C'est très dommage. La traduction, magnifique, est de Laurent Bury.

N.B. Je ne reviens que lundi. Bon week-end à tous.

4 Comments:

At 7/14/2005 11:57 AM, Anonymous Anonyme said...

Je ne connais pas ses autres oeuvres, dommage qu'elles ne soient pas plus divulguées.
Merci beaucoup pour tes gentils coms.

 
At 7/14/2005 6:39 PM, Anonymous Anonyme said...

"local colour country" ça s'appelle son style si je me souviens bien de mes cours de littérature américaine...

 
At 7/17/2005 10:33 AM, Anonymous Anonyme said...

Ah ! oui c'est vrai : il revient que lundi !!!

 
At 7/17/2005 8:53 PM, Blogger Rêverie musicale said...

Bravo Pass pour les connaissances sur la culture américaine. Sinon, oui, comme l'indique la petite ligne du bas, je ne reviens que demain (hé hé, d'accord, je triche un peu).

 

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