1.5.06

Danser toujours à 102 ans : quelle santé !


À croire que la danse conserve. Ou, plutôt, l’esprit resté toujours jeune. Toujours est-il que Doris Eaton Travis, dernière danseuse des Ziegfeld Follies encore de ce monde, star de Broadway pour qui fut créé en 1929 le morceau Chantons sous la pluie, demande malicieusement au public : « Vous croyez qu'on est encore assez jeune pour danser!? », avant de lever prestement la jambe... à 102 ans (ci-dessus : au théâtre de la Nouvelle-Amsterdam le 25 avril 2006 à New York) !

Elle révèle bientôt son secret depuis sa loge, après son numéro de danse pour le spectacle de charité donné par le tout-Broadway au profit de la lutte contre le sida : « Voyons... Je mange très peu », dit-elle en réfléchissant, « et puis je fais de l'exercice en allant d'une pièce à l'autre, je gère un ranch vous savez ».

Chaque année, cette minuscule vieille dame aux épais cheveux blancs fait en effet le voyage depuis son ranch de l'Oklahoma pour ce gala, organisé dans ce même Théâtre de la Nouvelle-Amsterdam où elle fit ses débuts pour Ziegfeld, à 14 ans en 1918 (ici un portrait datant de cette époque).


Tout a pourtant bien changé sous les néons de Times Square. Le Théâtre, après avoir été transformé en cinéma porno, puis menacé de démolition, présente en ce moment la comédie musicale du Roi Lion.

Doris Eaton Travis regarde d’ailleurs Broadway avec une pointe de regret : « Trop de corps (nus) ! Sans cette élégance qui comptait tant sous le règne de Ziegfeld », dit-elle, en chic pantalon noir et pull brodé, ses joues rehaussées de rose.

A l'époque, Florenz Ziegfeld s'inspirait des Folies Bergères de Paris pour monter une revue avec les grands comédiens du moment et des chorus girls somptueuses, dont certaines sont devenues extrêmement célèbres comme Paulette Goddard ou Louise Brooks. De 1907 à 1931, c’est tout New York qui se presse aux Follies. « Même si ces filles superbes portaient des costumes riquiquis, les shows n'étaient jamais vulgaires... Et il y avait de l'humour, mais jamais scabreux, c'était toujours drôle. »

Star de la revue de 1918 à 1920, Doris y retrouva ses quatre frères et soeurs, qui comme elle avaient appris la danse tout petits, dans leur ville de Washington. Après New York, elle tenta l'aventure à Hollywood, joua dans des films muets. Pour le show Hollywood Music Box, elle fut « la première à interpréter Chantons sous la pluie», rappelle-t-elle, alors qu'elle était amoureuse de l'auteur de la chanson.

Mais en 1936, la Dépression frappe. Sans travail, Doris Eaton abandonne le show-biz pour la danse de salon. Dix ans après, elle gérait dix-huit écoles.

Sa troisième vie commença dans les années 60, avec son mari, dans leur ranch de l'Oklahoma. Doris se met à la comptabilité et aux danses country. La curiosité la tient toujours et, en 1991, à 87 ans (!), elle décroche son diplôme d'histoire à l'Université d'Oklahoma. En 1999, à 95, elle joue avec Jim Carrey dans Man on the moon de Milos Forman. Quatre ans plus tard, à 99, elle rédige enfin ses mémoires, The Days we danced . Ce débordement d’activité l’étonne elle-même : « Parfois quand j'y pense, je me dis “mon Dieu! J'ai vraiment fait tout ca !?” C'est merveilleux », avoue-t-elle les yeux clairs fixés sur ses interlocuteurs, plissant le front pour conjurer sa surdité, ses lunettes tremblant à peine entre ses doigts.

Aujourd'hui, le reste de la dynastie Eaton a disparu. Mais chaque soir encore avant le dîner, Doris danse 20 minutes avec son assistant. « Ca maintient en forme. Et le vendredi le club de l'université a un orchestre, on y va pour dîner et danser un peu. »

Lundi dernier, à quelques heures du gala de charité de Broadway, elle n'avait pas la forme, et n'est parvenue à quitter son lit qu'au dernier moment. Mais le public conquis a eu droit à une Doris pétillante en robe de satin années 30, maîtrisant au bras d'un jeune danseur un petit pas de jazz des Follies 1913.  Le spectacle, c’est sa vie. « Je vais bien, constatait-elle juste après, comme regonflée. Je retrouve toujours l'inspiration en arrivant ici. »



Ci-contre : faisant un pas de deux avec l'acteur de Broadway, Eric Sciotto, le 25 avril 2006 au théâtre de la Nouvelle-Amsterdam à New York. Un exemple, je crois, de jeunesse de corps et d’esprit.

Source : AFP, 29 avril 2006