7.2.06

De l'art et du cochon


Jusqu’où l’art va-t-il se nicher ? Loin de moi l’idée de limiter la créativité humaine mais, tout de même, le bon goût et la responsabilité sont parfois bafoués pour pas grand chose.

Un artiste tchèque anti-conformiste nommé David Cerny (38 ans) a entrepris la création d’une œuvre d'art baptisée "Shark" ("Requin") représentant Saddam Hussein ligoté et flottant à l'intérieur d'un aquarium rempli de liquide (voir photo de la Biennale de Prague le 3 juin 2005). Franchement, je trouve cela assez répugnant, questionnant certes nos contemporains mais peut-être pas de la bonne façon et, en tout cas, laissant un arrière-goût d’idées nauséabondes, parentes de la propagande américaine.

Du coup, une commune belge a interdit l'exposition de l’œuvre dans le cadre du festival d'arts Beaufort 2006, la jugeant trop "choquante", a indiqué lundi le maire de Middelkerke (petite station balnéaire sur la côte belge), Michel Landuyt : "Cette oeuvre peut choquer les gens, non seulement d'ici mais les touristes et, éventuellement, les gens qui ont une autre foi, en particulier les musulmans", le maire précisant que ce n'avait "rien à voir" avec l'affaire de la publication en Europe de caricatures du prophète Mahomet qui ont provoqué ces derniers jours une vague d'indignation et de violences dans le monde musulman et insistant par ailleurs sur le fait que le procès de l'ancien dirigeant irakien était en cours.

Le "Shark" de David Cerny a été pour la première fois montré au public lors de la "Prague Biennale 2", une exposition internationale organisée l’année dernière.

David Cerny s'est déjà fait connaître par des oeuvres provocatrices, notamment la "Trabant sur pattes", pour symboliser l'exode des Allemands de l'Est vers l'Ouest en 1989. En octobre 2004, la municipalité de Prague avait renoncé à un mémorial de la Résistance anti-nazie qu'il avait conçu et qui offensait les vétérans de la Seconde guerre mondiale.

Décidément, on le voit tous les jours et particulièrement en ce moment, la provocation n’est pas le meilleur moyen de se faire entendre, en tout cas de manière constructive.

Source : AFP, 6 février 2006

3 Comments:

At 2/07/2006 1:30 PM, Anonymous Anonyme said...

Pour moi dans l'art rien n'est relatif. Une toile travaillée durant des années par un illustre inconnu peu avoir beaucoup moins de valeur d'un simple pot de compote retourné... tout dépend de QUI l'a retourné ! La provocation dans l'art est au même niveau dans le sens où si notre inconnu realise "shark" je pense qu'il va avoir des problèmes beaucoup plus sérieux que Monsieur Cerny qui LUI fait de l'art ! Je trouve également cette oeuvre CHOQUANTE ! Il y a quelques temps je suis allée à une conférence au Palais de Tokyo où justement le thème était "tout peut-il être art ?" à titre d'exemple : un artiste s'est injecté des produits alors qu'il y était allergique, résultats : il s'est pris en photo lorsqu'il était défiguré ! Un autre, déguisé en braqueur s'est rendu dans une pharmacie faisant mine d'être armé et a demandé comme magot... un coton tige ! (prise de photos durant "l'intervention") Mais oui cela est aussi considéré comme de l'art... et non comme de la stupidité ! Remarquez, Starck a bien vendu des pâtes à jenesaisplus combien le kilo (mais vraiment du n'importe quoi) car il en avait réalisé l'emballage...
Alors art/stupidité, stupidité/art... ?????

 
At 2/11/2006 11:16 AM, Blogger Strogoff said...

Ah mais pas d'accord du tout du tout! On peut ne pas aimer, certes, d'ailleurs personnellement chais pas trop quoi n'en penser, disons je ne l'achèterais pas, c'est sûr. Par contre je suis contre votre analyse. Premièrement il ne s'agit pas de provocation mais d'art, pour moi, perso (un sein nu sur une toile est-il provocation?). Deuxièmement choquer les musulmans? En quoi Saddam dans un aquarium peut-il être lié à "musulman" (il est un homme politique, mais en aucun cas représentatif d'une religion)?
On peut donc en penser ce que l'on veut, de cette oeuvre, mais elle a le mérite d'exister, de faire réfléchir, peut-être choquer (les enfants, aussi je suis d'accord qu'on ne l'expose pas sur la place publique), mais en aucun elle est provocative et en aucun elle ne peut être censurée.

 
At 2/11/2006 12:05 PM, Blogger Rêverie musicale said...

Strogoff,
merci beaucoup de votre commentaire. On voit que, dès que l'on touche à l'absolu chez l'homme, que ce soit en religion ou en art, il est difficile de parler sans passion. cela m'amène à pousser plus loin ma réflexion.

L'œuvre en question pose le problème universel de la responsabilité. À force, au cours du XXe siècle, d'avoir fait éclater tous les repères en art (ceci n'est pas un reproche), on fait passer pour art tout et n'importe quoi. Quelqu'un va aller "saloper" votre mur de maison une nuit en la taggant (après tout : c'est votre maison, vous avez le droit d'aimer que votre mur soit nu, le taggeur pourrait peut-être respecter votre liberté ?) et va aussitôt se réfugier derrière l'excuse : c'était de l'art. Ah ! Pas touche ! Sacré (tiens, il y a presque un relent de religion intégriste là-dedans...) ! Savez-vous qu'un des grands compositeurs du XXe siècle, Karlheinz Stockhausen - même s'il s'est excusé depuis -, avait qualifié les attentats du 11 septembre 2001 de plus grande œuvre d'art du siècle ? 3000 personnes tuées, vous vous rendez compte ? Vous voyez bien qu'on peut dire n'importe quoi au nom de l'art. En fait, comme n'importe quelle activité humaine, l'activité artistique ne peut se faire sans conscience.

Autre exagération de notre monde moderne : le mot censure est aussitôt brandi dès que quelqu'un dit qu'il n'est pas d'accord avec une œuvre et qu'il n'en fera pas la promotion. Mais, à ce que je sache, la mairie de Middelkerke n'a pas détruit l'œuvre, n'a pas organisé un blocus pour la confisquer. Si l'artiste a le droit de créer son œuvre, la mairie a aussi le droit de la refuser, il faut respecter les deux parties. Il y aura toujours d'autres lieux pour accueillir cette création.

Vous êtes contre mon analyse parce que j'y évoquerais que cela choquerait les musulmans. Si vous me relisez attentivement, vous verrez que la phrase incriminée est une déclaration du maire de Middelkerke, Michel Landuyt, ce n'est donc pas mon analyse mais une information. Il est clair que Saddam Hussein, bien qu'il s'en soit servi, n'était pas un adepte farouche de la religion et organisait plutôt un pouvoir laïque.

Je n'ai pas sous-entendu que l'œuvre en question me choquait à cause de la nudité du corps. Pour répondre à une de vos questions : un sein nu n'est pas une provocation car en général il est montré pour exalter la beauté. Ce qui provoque, vous le savez bien, c'est ce qui creuse le côté noir de l'âme humaine en s'en faisant le complice. Les artistes d'aujourd'hui sont très engagés. Très bien. Ils souhaitent interroger le monde, parfait, c'est le rôle de tout citoyen - et pas seulement de l'artiste. Mais entre interroger et provoquer, il y a le même pas qu'entre un dessin de Plantu à la une du Monde et les caricatures primaires danoises. Une différence de hauteur de vue et de responsabilité.

Je ne suis pas un enfant et cette œuvre me choque tout de même, pas au premier degré, mais par tout ce qu'elle contient de non-dit : le corps, ligoté, asservi, utilisé qui plus est ici comme un objet, mais surtout, le corps de quelqu'un, pas un anonyme ou un corps créé pour l'occasion, utilisé sans soucis de l'être humain qui en est le modèle (Saddam Hussein, quelles que soient les horreurs dont il est coupable, est encore "propriétaire" de son corps), la stigmatisation du "requin" Saddam Hussein (dictateur, je n'en disconviens pas) tel un discours bas de plafond d'un journaliste de Fox News. Tout cela ne me plaît guère.

Je ne suis pas sûr que cette œuvre ait en soi "le mérite d'exister", mais puisqu'elle existe, je ne la renie pas, je la commente même abondamment en l'incluant de manière plus générale dans les dérives de notre société moderne.

 

Enregistrer un commentaire

<< Home