Des caricatures-pyromanes mais instrumentalisées
Je vous avais déjà parlé de la chronique de Bernard Guetta passant sur France Inter tous les matins vers 8h20. Aujourd’hui, comme souvent, ce journaliste assez remarquable a synthétisé la plupart des enjeux de la crise actuelle autour des caricatures danoises sur Mahomet.
Ces caricatures, surtout celles concernant précisément le prophète Mahomet, étaient particulièrement maladroites car elles assimilaient par globalisation tous les musulmans à des terroristes. La réaction dans certains pays arabes est en contrepartie extrêmement disproportionnée mais, on va le voir, la foule est un peu guidée dans sa révolte... Cela dit, dans le contexte actuel, avec les tensions provoquées en permanence dans le Moyen Orient par la guerre en Irak et depuis un demi-siècle par le conflit israëlo-palestinien, était-il bien raisonnable de reproduire, comme un défi, les caricatures en question ? Il aurait fallu, je pense, revendiquer le droit à la liberté d’expression, faire de grands articles, des unes même, mais sans reproduire ces dessins qui, tout le monde s’accorde à le dire, sont médiocres. Entre militer pour un droit et reproduire une erreur, je trouve qu’il y a une marge.
Après quelques-unes de mes réflexions, je vous laisse prendre connaissance de la chronique de Bernard Guetta :
« Une crise mondiale grandissante »
Ce n’est pas joué mais il est bien possible que le Premier ministre danois ait raison. Non seulement l’affaire des caricatures est devenue, comme il le dit, « une crise mondiale grandissante » mais il n’a pas tort de craindre qu’elle ne « recèle un potentiel d’escalade échappant au contrôle des gouvernements et autres autorités ».
Le premier des problèmes, des dangers faut-il dire, est que deux des Etats du Proche-Orient, l’Iran et la Syrie, soufflent sur les braises en laissant attaquer des représentations diplomatiques européennes. Rien ne les empêcherait de ne pas permettre ces violations de leurs propres lois et du droit international puisqu’ils n’hésitent jamais à réprimer des manifestations, même pacifiques.
Si cela se produit, c’est qu’ils le veulent. Nullement religieux et très hostile à ses propres islamistes, le régime syrien saisit une occasion de rappeler aux Occidentaux qu’il a des moyens de résister aux pressions qu’ils exercent sur lui depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri.
Voyez, leur dit-il, sur quelle vague nous sommes prêts à surfer, quelles alliances nous pourrions nouer et, parallèlement, la Syrie attise le feu au Liban, y pousse ses alliés chiites à de violentes protestations, afin d’y ressusciter les tensions entre musulmans et chrétiens et tenter de remettre la main sur ce pays.
L’Iran, lui, fait coup double. Il veut, d’une part, montrer qu’il ne serait nullement intimidé par le transfert de son dossier nucléaire au Conseil de Sécurité et, de l’autre, se faire le champion de l’Islam, retrouver par là son rôle de leader du mouvement islamiste car la montée en puissance des islamistes sunnites inquiète cet Etat chiite qui voudrait conforte sa position régionale.
Le deuxième élément d’inquiétude est que l’ensemble des mouvements islamistes, et les plus radicaux au premier chef, ont trouvé là le moyen rêvé de proclamer l’Islam en danger, de brandir les preuves que l’Occident ne voudrait que l’humilier et l’agresser - de sonner, en un mot, la mobilisation générale contre les « judéo-croisés ». De fausses caricatures, franchement insultantes et totalement incendiaires, sont délibérément ajoutées à celles qu’avait publiées le Jyllands Posten. Elles passent pour être vraies aux yeux des exaltés. Chacun se retrouve sommé, dans le monde arabo-musulman, de choisir entre le blasphème et la foi et cette surenchère laisse peu de marge aux forces de modération.
Troisième élément d’inquiétude, enfin, les opinions occidentales sont saisies de répulsion devant la disproportion, le fanatisme, la folie furieuse de ces réactions. Un raidissement se sent dans les conversations. De plus en plus de journaux publient ces caricatures au nom de l’idée qu’il ne faudrait pas « se laisser intimider » et qu’il y aurait, même, un devoir à le faire.
Il devient de plus en plus difficile de faire valoir qu’on ne fait ainsi que prêter main forte aux islamistes, que servir leurs desseins, et le répugnant concours de caricatures sur le Shoah que vient de lancer un quotidien iranien n’arrangera, bien évidemment, rien. Pire encore, une organisation islamiste belge vient de devancer ce quotidien sur son site. « Il s’agit, dit-elle, de franchir toutes les lignes rouges » et c’est réussi, abjectement réussi.
4 Comments:
Ma chère petite sœur m'écrit :
«Certes.
1. Est-ce un hasard si les tensions sont attisées, après 4 mois de la première parution des dessins, alors qu'effectivement, la Syrie est mise en cause dans l'assassinat de l'ancien premier ministre libanais, qu'en Palestine on découvre des détournements de fonds, que l'Egypte semble se rapprocher d'Israël (si j'ai bien compris), comme si on voulait détourner l'attention ?
Moi effectivement, je regrette que ces dessins accroissent encore la confusion entre islamistes et musulmans.
2. Mais. Si les musulmans modérés manifestent aujourd'hui contre ces caricatures (avec d'ailleurs un mélange pour certains entre la représentation de Mahomet en général -qui ne s'applique qu'aux musulmans- et celles-ci en particulier qui peuvent être blessantes ; et du côté des occidentaux -cf émission de Fogiel- confusion entre Mahomet et Dieu !), après les attentats de Londres, de Madrid, combient étaient-ils dans la rue à manifester contre les islamistes qui sont à l'origine aussi de cet amalgame ; en d'autres termes, qui fait le plus de mal et qui est à blâmer dans tout cela ?
L'incompréhension entre nos cultures respectives est loin d'arriver à son terme.»
Effectivement, s'il y a des personnes qui doivent combattre les intégristes de toute religion, ce sont les correligionnaires eux-mêmes !
Moi je dis seulement que l'humour doit rester tel quel et le caricaturiste a sans doute été maladroit (je ne sais pas, je n'ai pas vu les dessins) mais de là à fiare un amalgame de tous les problèmes....
Jésus a eu sa part de caricatures ou de reproductions publicitaires, les traditionnalistes ont protestés, le Vatican aussi mais il n'y a pas eu d'attentats pour autant....
C'est parfaitement vrai, Passion de tout. Ce qui est gênant, naturellement, c'est de voir des croyants considérer que le monde doit être à leur image et uniquement à leur image - car rappelons que les caricaturistes ne sont pas musulmans. C'est malheureusement la manière de penser de tous les intégristes du monde. Rappel aussi : lors de la sortie du film "La dernière tentation du Christ" (Scorcese), le cinéma Saint-Michel qui le projetait avait brûlé, provoquant la mort d'une personne si je me souviens bien. Cela avait moins d'ampleur, mais c'est le même réflexe.
Donc, ne faisons pas d'amalgame : tous les musulmans ne sont pas terroristes.
Ce qui est dommage pour les modérés c'est que l'amalgame entre musulmans et terroristes a encore gagné en force. Non pas à cause des caricatures mais par le deux poids, deux mesures au MO : rien contre les décapitations et attentats et foule contre des dessins.
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